Christian Dior, « Bonbon », robe d’après-midi, automne-hiver 1947-1948. Sergé de laine, boutons métalliques et ceinture en peau.Collection Palais Galliera © Galliera/Roger-Viollet
PARIS - Guêpières, jupons, jupes à corolle, escarpins pointus, imprimés fleuris ou rayés de couleurs vives, tailleurs à jupe « crayon » et taille de guêpe, robes bustiers-fourreaux, robes de cocktail, broderies rocailles de cristaux : telle est la couture des années 1950. À la même époque, une mode décontractée – pulls moulants, pantalon corsaires et jeans – est portée par la génération du baby-boom.
Début 1947, Christian Dior lance la première collection de sa maison de couture. Il jette aux orties l’image de la «femme-soldat à la carrure de boxeur » : la guerre est finie ! Apparaissent, chics et féminines, les femmes fleurs à la poitrine marquée, à la taille soulignée et au ventre creusé, aux hanches arrondies et à la jupe ample… Aussitôt, Carmel Snow, rédactrice en chef de Harper’s Bazaar, baptise cette collection « New Look ». Cette silhouette « sablier » si généreuse en tissu fait scandale en même temps qu’elle connaît un succès fulgurant et devient emblématique de la décennie.
D’autres styles concurrents sont tout aussi remarquables : la ligne Balenciaga, dite « tonneau », au volume s’évasant dans le dos et autour de la taille ou encore, à l’opposé du New Look, la ligne Chanel au tailleur droit et strict qui crée la rupture dès 1954.
Ces années 1950 sont décisives pour la haute couture française qui, fragilisée depuis la crise de 1929 et la guerre, renaît pour devenir éternelle… Il suffit d’égrener le chapelet mythique des noms de maisons parisiennes devenues « patrimoine national » : Jacques Heim, Chanel, Schiaparelli, Balenciaga, Jacques Fath pour les plus anciennes ; Pierre Balmain, Christian Dior, Jacques Griffe, Hubert de Givenchy, Pierre Cardin nouvellement apparues... Paradoxalement, cette puissance de la mode française repose autant sur le prestige de ces noms synonymes de luxe, d’élégance et d’innovation que sur la capacité de la profession à se convertir au révolutionnaire prêt-à-porter. Dès 1950, « Les Couturiers Associés » – Jacques Fath, Robert Piguet, Paquin, Carven et Jean Dessès – fondent la première société spécialisée dans la diffusion sous licence de prêt-à-porter de couturiers.
Issues des collections du Palais Galliera, griffées des plus célèbres couturiers ou de maisons aujourd'hui tombées dans l'oubli (Jean Dessès, Madeleine Vramant, Lola Prusac), les pièces exceptionnelles de cette exposition retracent, en quelque 100 modèles et accessoires, l'évolution de la silhouette de 1947 à 1957, de la naissance du New Look à la disparition de Christian Dior et l’avènement d’Yves Saint Laurent.
Dans les années 1950, couture et prêt-à-porter sont non seulement l’un des premiers secteurs économiques en France mais aussi un laboratoire de la mode. C’est l’âge d’or de la haute couture et Paris regagne son titre de capitale mondiale de la mode.
Chanel, robe de jour, printemps-été 1954. Lainage. Archives Chanel © Chanel/Grégoire Alexandre
Dans Le nouveau femina, numéro de Mars 1954, Jean Cocteau salue le retour de Chanel sur la scène de la mode : « Si Mademoiselle Chanel a régné sur les modes, ce n’est pas seulement parce qu’elle a coupé les cheveux des femmes, marié la laine et la soie, enroulé des perles sur des chandails, évité pour ses parfums les étiquettes poétiques, baissé la taille ou remonté la taille et obligé toutes les femmes à suivre ses directives, c’est parce qu’en marge de cette gracieuse et robuste dictature elle n’ignorait rien de son époque et se dépensait autant pour ce qu’elle offre d’immédiat que pour ce qui se médite dans l’ombre. Son retour sur l’estrade parisienne représente bien davantage que la réouverture d’une grande maison. Elle est le signe d’une nécessité de vaincre une inflation médiocre ». Mademoiselle Chanel a inauguré sa maison en qualité de modiste en 1909. Elle a modifié le cours de l’histoire de la mode par les innovations que cite Cocteau auxquelles il convient d’ajouter la fameuse petite robe noire (1926). À l’annonce de la seconde guerre mondiale, elle décide de fermer sa maison. À plus de soixante et onze ans, en 1954, Chanel revient avec des tailleurs dépouillés sur des silhouettes androgynes à mille lieues des petite robe noire (1926). À l’annonce de la seconde guerre mondiale, elle décide de fermer sa maison. À plus de soixante et onze ans, en 1954, Chanel revient avec des tailleurs dépouillés sur des silhouettes androgynes à mille lieues des
suivante. L’image du tailleur s’impose partout, en toute saison et en toute heure. Les robes gagnent en simplicité. Elle y ajoute le sac en bandoulière, es sandales bicolores et invente à son image une élégance qui n’est pas d’extravagance mais de nonchalance.
Christian Dior, « Bernique », ensemble de jour, automne-hiver 1950-1951. Toile de laine. Collection Palais Galliera © Galliera/Roger-Viollet
Certains vêtements se révèlent à la faveur des expositions. C’est le cas de ce tailleur qui ne possédait pas de griffe à son arrivée au musée et qui grâce aux recherches menées en collaboration avec la maison de couture Christian Dior a pu être à nouveau identifié et attribué. Il s’agit d’un ensemble robe et veste dont le dessin original a été retrouvé dans les archives de la collection automne-hiver 1950 de la maison située avenue Montaigne.
« Bernique » doit son nom à l’excroissance en forme de coquille ou de chapeau chinois qui naît sur la veste pour s’échapper avec effronterie sur une basque projetée. Ajusté et profilé, il incarne au mieux l’esprit du couturier et celui des années 50.
Quatre ans seulement après la révolution du New Look, Christian Dior représente à lui seul 49% du chiffre d’affaires total des exportations de la couture française. La collection de la saison automne-hiver 1950 compte 191 modèles, 64 manteaux et 23 fourrures. Il n’y a pas de modification dans la longueur, mais la ligne verticale a fait place à l’oblique. Les formes naturelles sont restituées : épaules tombantes, buste «élargi », taille fine et hanche marquées. Selon Paris Match (édition du 12 août 1950) « 350 privilégiés ont assistéà la 1re de Dior, 240 dans le grand et le petit salon, 40 sur le palier, 40 sur l’escalier et 30 debout (…), 12 mannequins ont défilé pendant 3 heures un quart » Ce jour là« Bernique » fier et alluré s’est faufilé dans les salons de l’avenue Montaigne et a profité de tous les regards.
Jacques Fath, robe du soir A/H 1950 Velours et satin noirs© Fr. Cochennec et E. Emo / Galliera / Roger-Viollet
Jacques Fath, redingote, A/H 1948-1949 Taffetas de soie et fibres artificielles couleur sable© F. Cochennec et E. Emo / Galliera / Roger-Viollet
La maison Jacques Fath ouvre en 1937 mais prend réellement son envol dans les années 40, en proposant une mode légère et joyeuse, pleine de fantaisie, que le créateur veut à son image. Dans la presse, ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à se mettre en scène que ce soit dans un bal costumé ou à la sortie de son bain, conscient de l’importance de la médiatisation pour l’image de sa griffe. Dans le sillage du New Look amorcé par Dior, Fath joue de l’asymétrie des volumes, du remodelage d’un corps féminin idéalisé, ainsi que de l’allongement de la silhouette et ce, pour le soir comme pour le jour.
Louis Féraud, robe d'après-midi "Bergère", 1955-1957 Toile de coton blanche imprimée noire à motifs type toile de Jouy© Fr. Cochennec et E. Emo / Galliera / Roger-Viollet
Lanvin-Castillo, robe bustier bayadère, vers 1955. Sergé de coton rayé type « toile à matelas ». Collection Palais Galliera © Galliera/Roger-Viollet
Lanvin-Castillo, A/H 1954. Photo
Jeanne Lanvin a disparu en 1946, à l’âge de 79 ans. À son départ, 1 500 ouvrières travaillaient à pied d’œuvre aux collections dans les immeubles du faubourg Saint-Honoré. En 1950, Antonio Canovas de Castillo, couturier d’origine espagnole rejoint la maison Lanvin dont il prend la direction artistique.
Exiléà la suite de la révolution de 1936, Castillo s’est installéà Paris où il a été avant-guerre modéliste chez Paquin, puis chez Piguet lorsqu’Elisabeth Arden l’appela à New York. Il fut aussi le bras droit de Mademoiselle Chanel.
Interrogée à son sujet Chanel disait de lui : « Il a une sorte de génie à l’arrêt. Avec lui, il faut jouer le rôle du furet, le faire sortir de son trou. Alors, c’est merveilleux ». Antonio Castillo a dessiné les collections de la maison Lanvin jusqu’en 1963. Durant toutes les années 50, le couturier s’est attachéà réveiller les couleurs et les broderies qu’appréciait tant la fondatrice. Il sait donner une lecture contemporaine aux modèles griffés d’une des plus anciennes maisons de mode. Son style s’incarne volontiers dans la recherche de l’épure et dans la coupe qu’il veut sobre, parfois austère. En revanche, son goût pour les couleurs franches et les motifs placés trahissent les exubérances d’un couturier au tempérament ibérique
Christian Dior par Yves Saint Laurent, « Aurore », robe du soir courte, printemps-été 1958. Faille Aurore de Lajoinie. Collection Palais Galliera © Galliera/Roger-Viollet
Pour sa première collection, Yves Saint Laurent, 21 ans, lance la ligne « trapèze ». Le jeune couturier a succédéà Monsieur Dior, disparu tragiquement en 1957 au terme de dix années de créations qui ont modifié considérablement l’image de la mode. Fidèle à l’esprit Dior, Yves Saint Laurent s’appuie sur le langage optique des lignes et des coutures que le couturier d’origine aimait à renouveler. Les mannequins sont vêtus de « Printemps », «Porcelaine », « Séduction », « Refrain », « Café de Flore » ou « Zouzou ». Ce sont les noms des modèles que le jeune homme a choisis pour les robes d’organdi, les jupes de tulle, les tailleurs de laine ou de flanelle qui accompagnent ses premiers pas. Tous les modèles entretiennent le souvenir de ce pictogramme trapèze d’où les jambes fines des femmes s’extraient avec grâce comme les tiges de fleurs rares. « Aurore », dont il existe une version bleue faïence dans les archives de la maison Dior, appartient encore au répertoire stylistique des années 50 qu’Yves Saint Laurent quittera en même temps que la maison en septembre 1960.
Balenciaga, « Baby doll », robe de cocktail, printemps-été 1958. Taffetas. Collection Palais Galliera © Galliera/Roger-Viollet
En 1958, soit dix ans avant que Cristóbal Balenciaga ne ferme sa maison, le couturier d’origine espagnole lance la « Baby doll » sur la carte parisienne de la mode. La robe est de forme excessivement simple. Elle surprend par ses proportions que l’on qualifierait aujourd’hui «over size ». L’encolure ras-du-cou sur le devant, creusée par le poids de la robe et ronde dans le dos, l’absence de manches réduisent sa forme aux règles strictes de la coupe. Son ampleur disproportionnée, ses plis nombreux répartis dans le bas, comme sur les robes de poupées des années 20, sont les paraphes qui signent cette robe d’allure nouvelle. Le taffetas souple et fin agit comme un souffle sur le corps, le révèle plus subtilement quand on croit que la robe, par son volume, le dissimule.
Par son caractère original et sa radicalité, elle annonce les courants réformateurs et simplificateurs des années 60. Les références historiques, que l’on note en 1958 dans les collections de Balenciaga, sont de style Directoire et Empire. Il n’y a pas de règle de conduite autre que la maîtrise et la technique.
Christian Dior (Boutique), robe du soir en deux parties, 1953-1954 Tulle gris clair et foncé© Fr. Cochennec et E. Emo / Galliera / Roger-Viollet
Christian Dior, robe du soir "Marivaux" P/E 1954 - Ottoman de soie bleu très pâle, bustier brodé de soie polychrome et paillettes. © Relaxnews 2005-2014
Christian Dior (Boutique), 1953-1954 / Jacques Fath, vers 1947 / Grès, A/H 1956. Collection Palais Galliera© Gregoire Alexandre/Palais Galliera.
Jacques Heim, 1951 / Alwynn, 1950 / Carven, 1951. Photo
Henry Clarke, Jacques Fath © Henry Clarke/Galliera/Roger-Viollet