Aiguière de Saint-Denis. Cristal de roche : Egypte ; Monture : Italie méridionale. Cristal de roche : Xe-XIe siècle ; Monture : XIe siècle. Cristal de roche taillé et or filigrané. H. 24 ; D. 13,5 cm. Trésor de Saint-Denis, où l'objet est mentionné en 1505 ; versé au Muséum en 1793 (futur musée du Louvre). Numéro d'inventaire : MR 333. Musée du Louvre, Département des objets d'art, Paris© RMN/Peter Willi
Inscription : "Bénédiction, satisfaction et [...] à son possesseur"
L’aiguière, taillée dans un seul bloc, est une des plus belles pièces en cristal de roche de l’Egypte fâtimide qui ait subsistéà ce jour. Autrefois conservée, dans le Trésor de l'Abbaye de Saint-Denis qui fut enrichi par l’abbé Suger au début du XIIesiècle. Avec d’autres pièces du Trésor, comme « le vase d’Aliénor » arrivé en France par l’entremise d’un roi musulman de Saragosse, ou la coupe du roi Khosrô, dite « coupe de Salomon », offerte par un roi carolingien, elle appartient aux objets à caractère mythique qui reliaient l’Orient à l’Occident dès le haut Moyen Age.
Le récipient adopte une panse piriforme assez étroite reposant sur une petite base annulaire. L’anse droite était autrefois couronnée d’un poucier en forme de bouquetin. Sur sa panse figure un motif végétal composé de deux tiges torsadées donnant naissance à divers éléments ; de chaque côté sont accostés deux rapaces dont le plumage est rendu par de petits disques et des « pointes de diamants ». Ils sont suivis de deux autres motifs végétaux, construits en losange et qui laissent échapper des demi-palmettes symétriques. En dessous, un large bandeau de branches sinueuses, développées horizontalement, entoure la base de l’aiguière. Tous ces thèmes ont été sculptés en bas-relief. Près du col, apparaît une inscription votive en kufique.
Cet ouvrage issu des ateliers musulmans du Caire, au tournant du Xe et XIe siècle, est venu s’adjoindre un élégant couvercle en or, exécuté en Italie méridionale, à la fin du XIe siècle. Orné de filigranes torsadés, de rosettes et de minuscules entrelacs de type « vermicelli », ce couvercle épouse l’ouverture en amande du bec verseur et « christianise » l’objet qui a pu être associé, comme l’aiguière en cristal de roche de l’église du Milhaguet, à la liturgie de la messe, lors de cérémonies particulièrement solennelles.
Bien que produite en Egypte, l’aiguière nous entraîne plus à l’Est encore, car elle se rattache par bien des traits aux arts somptuaires de l’Iran et au cérémoniel de ses cours. Sa forme s’inspire de l’orfèvrerie de l’Iran sassanide. Le poucier en bouquetin se retrouve, par exemple, sur une aiguière en argent du musée du Louvre[1] ; à l’époque islamique la forme se retrouve tant sur des aiguières en métal qu’en verre, certaines pièces iraniennes du IXe siècle la reprennent dans la technique du verre camée[2].
Le décor d’animaux affrontés de part et d’autre d’un motif végétal, fait de torsades et de demi-palmettes, rappelle les anciennes traditions iconographiques de la Mésopotamie et de l’Asie antérieure. Ce thème, déjà présent dans les sceaux-cylindre mésopotamiens, se retrouve dans « l’Arbre de vie » de la Perse mazdéenne dont les branches entrecroisées et montantes unifiaient le Ciel et la Terre et ordonnaient autour d'elles, à la manière d’un caducée, des énergies antagonistes, souvent symbolisées par des fauves ou des rapaces. Il s’agit par excellence d’un vocabulaire noble, qui exalte la fonction royale, et qui s’est diffusé d’un bout à l’autre du territoire islamique[3].
Cinq autres aiguières de grand format reprennent cette construction décorative, tantôt avec des quadrupèdes, tantôt avec des oiseaux, et constituent avec l’aiguière de Saint- Denis un groupe cohérent[4]. Hors de ce groupe, un croissant de lune en cristal de roche[5], mentionne le nom du calife fâtimide al-Zâhir (1021-1036) et confirme les liens entre cette production de luxe et les souverains de cette dynastie.
[1] Paris, musée du Louvre, département des Antiquités Orientales.
[2] Un spécimen fabriqué selon ce procédé, exhuméà Fustat, montre bien les ressemblances que présentaient entre eux ces récipients destinés à la table des princes, que ce soit en Iran ou en Iraq, ou en Égypte, chez les Fatimides.
[3] Ainsi, une pyxide en ivoire de Madînat al-Zahrâ’ aux aigles disposés de part et d’autre d’un axe végétal monté en candélabre (New York, the Cloisters, Metropolitan Museum, inv 1970-324-5).
[4] Aiguière de la cathédrale de Fermo (Italie), du Victoria and Albert museum de Londres, du Palais Pitti à Florence, et deux autre dans le trésor de la Basilique Saint-Marc à Venise.
[5] Conservé jadis dans le trésor ecclésiastique de Vienne, aujourd’hui à Nuremberg, au Germanisches Nationalmuseum (L.75/21).
BIBLIOGRAPHIE DE L'OBJET:
Lamm, C.J., Mittelalterliche Gläser und Steinschnittarbeitein aus dem Nahen Osten, Berlin,1929-1930, I, p.193-194, pl. 67-3.
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Rice, D.S., « A datable Islamic Rock Crystal » in Oriental Art, 1956, vol. II, n° 3.
Davy, M.M., Initiation à la symbolique romane, XIIe siècle, Paris, 1964.
Les Trésors des Eglises de France, Paris 1965, (cf. Introduction de Jean Taralon, p. XVI).
Montesquiou-Fezensac, B., Le Trésor de Saint-Denis, Paris 1973-1977, 3 vol. I et II, n°33, III, p.44, pl. 26-27.
Suger, éd. Panofsky, 1979 : Abbot Suger. On the Abbey Church of Saint-Denis, éd., trad. et notes de E. Panofsky, Princeton, 1979
Le trésor de Saint-Marc de Venise, cat. expo. Paris, 1984, p.220, fig. 30 b.
Le trésor de Saint-Denis, cat. expo. musée du Louvre, juin 199I, Paris.
Makariou, S., «Le cristal de roche dans l'Islam, La documentation Française du musée du Louvre », Paris 1999. Actes du colloque, musée du Louvre/1995 «Cornaline et pierres précieuses ».
La France romane, cat. Expo. Paris, musée du Louvre-2005, Paris, Musée du Louvre, Hazan, n° 114, p. 167.
(source: Qantara)