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Pièces de jeu d’échecs, Turquie, XVIe – XVIIe siècle

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Pièces de jeu d’échecs, Turquie, XVIe – XVIIe siècle. Cristal de roche taillé, or, émeraudes, rubis. H. max : 40 cm (roi) ; D. max : 23 cm (roi). Numéro d'inventaire : 1372 – 1373. Topkapi Sarayi Müzesi Kütüphanesi, Istanbul© Jacqueline Hyde - Pierre Travinsky

Alors que les jeux de plateau remontent au moins au IIIemillénaire av. J.-C., et se retrouvent dans nombre de cultures, les échecs semblent avoir été inventés assez tardivement. Ils seraient apparus en Inde entre 455 et 543, et auraient rapidement été connus en Perse (avant 578) sous le nom deshatrang. Découvert par les Arabes lors de la conquête, au VIIe siècle, ce jeu fut rapidement adopté dans tout le monde islamique. Selon une légende, le calife Hârûn al-Rashîd en aurait lui-même offert un à Charlemagne ; toutefois le jeu dit « de Charlemagne », actuellement conservé au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France est en fait attribuable à des ateliers italiens du XIe siècle et le « pion de Charlemagne », également à la Bibliothèque nationale de France, a été probablement fabriqué en Inde après le Xe siècle. Il est plus probable que les échecs soient arrivés en Occident vers l’an 1000, et que leur diffusion ait été favorisée par les Croisades. Quoiqu’il en soit, une peinture espagnole représentant un chrétien et un musulman disputant une partie sous une tente[1] témoigne que quelques siècles plus tard, le jeu est connu sur les deux rives de la Méditerranée.

Les pions islamiques, contrairement à ceux des jeux européens, ne sont jamais figuratifs. C’est principalement à leur taille que l’on reconnaît le roi, le ministre (à peu près équivalent de la dame en Occident), l’éléphant (le fou), le chariot (la tour), le cheval (le cavalier) et le fantassin (le pion). Le jeu du Topkapi Sarayi n’échappe pas à cette règle. Ses trente-deux pièces en cristal de roche présentent des formes géométriques : cylindres légèrement concaves au sommet bombé, simples (roi et dame) ou ornés de deux gouttières (pion), forme balustre (cavalier et tour). Seul le fou (?), qui prend l’aspect d’une palmette, est plus complexe. Ces formes se retrouvent dans un autre jeu d’échec en agate et turquoise également conservé au palais de Topkapi, de fabrication iranienne ou ottomane.

Le cristal de roche est particulièrement apprécié des Ottomans, comme les pierres dures en général. Le trésor du palais de Topkapi conserve ainsi plusieurs pichets réalisés dans ce matériau et incrustés de pierres précieuses. Néanmoins, ce goût n’est pas nouveau en terre d’Islam : dès la période fatimide, des jeux d’échec, ainsi que des aiguières et de petits flacons, sont réalisés dans ce matériau[2]. Le cristal de roche est également utilisé dans le monde chrétien, depuis la période carolingienne[3] jusqu’au XIXe siècle au moins.

Deux types de pierres précieuses rehaussent les pions, permettant de distinguer les deux joueurs. Les rubis proviennent sans doute de Birmanie ou d’Afghanistan ; au contraire, les émeraudes d’Asie étaient souvent, à partir de la fin du XVIesiècle, délaissées pour des pierres plus belles rapportées de Colombie par les Portugais. Les gemmes sont taillées en table[4], selon des techniques d’orfèvrerie maîtrisées à Byzance et en Occident dès le haut Moyen Âge et qui se perpétuent ; les orfèvres les ont ensuite serties dans des bâtes à base polylobée pour les assujettir au cristal. Le début de l’incrustation de métaux précieux dans des pierres dures remonterait au XIIe siècle en Iran oriental. Mais ce n’est probablement que sous les Timurides (1370 – 1506) que les artisans auraient commencéà y ajouter des pierres précieuses. Cette pratique se poursuit en Iran au XVIe siècle et se répand, à la fois en Inde et chez les Ottomans, ces derniers ayant capturé nombre d’œuvres et d’artistes iraniens après le sac de Tabriz en 1514.

[1] « Chrétien et Arabe jouant aux échecs », Le livre des jeux, traité réalisé pour Alphonse X le Sage, XIIIe siècle, Madrid, Bibliothèque de l’Escurial.
[2] Jeu d’échecs en cristal de roche, Llerida, musée dioscésain, 1473.
[3] Intaille de Suzanne, France ou Allemagne, 855 – 869, cristal de roche, Londres, British Museum, 1855.12-1.5.
[4] C’est à dire avec une surface plane.

BIBLIOGRAPHIE DE L'OBJET

Soliman le magnifique, (cat. exp., Paris, Galeries nationale du Grand Palais, 1990), Paris, Association française d’action artistique, 1990, n° 238, p. 224 – 225.

Rogers, J.M. (dir.), Topkapi Sarayi. Objets d’art, Paris, Éditions du Jaguar, 1987, n° 120, p. 217.

BIBLIOGRAHIE DE REFERENCE

Le trésor du monde, joyaux indiens au temps des Grands Moghols, (cat. exp., Paris, musée du Louvre, 2006). France, Thames et Hudson, 2006. 

Roos, M., Histoire des échecs, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je », 1990.

Dossiers pédagogiques. Le jeu d’échecs. [en ligne], Paris : Bibliothèque nationale de France, [s.d.]. Disponible sur : <http://classes.bnf.fr/echecs.index.htm> (consulté le 22 novembre 2007)

(source: Qantara)


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